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LES JACOBINS


hommes d’État, finalement des ministres et des chefs de gouvernement se soient attachés à cette théorie, qu’ils l’aient embrassée plus étroitement à mesure qu’elle devenait plus destructive, que tous les jours, pendant trois ans, ils aient vu l’ordre social crouler sous ses coups, pièce à pièce, et n’aient jamais reconnu en elle l’instrument de tant de ruines ; que, sous les clartés de l’expérience la plus désastreuse, au lieu d’avouer sa malfaisance, ils aient glorifié ses bienfaits ; que plusieurs d’entre eux, tout un parti, une assemblée presque entière, l’aient vénérée comme un dogme et l’aient appliquée jusqu’au bout avec l’enthousiasme et la raideur de la foi ; que, poussés par elle dans un couloir étroit qui se rétrécissait toujours davantage, ils aient marché toujours en avant en s’écrasant les uns les autres ; qu’arrivés au terme, dans le temple imaginaire de leur liberté prétendue, ils se soient trouvés dans un abattoir ; que, dans l’enceinte de cette boucherie nationale, ils aient été tour à tour les assommeurs et le bétail ; que, sur leurs maximes de liberté universelle et parfaite, ils aient installé un despotisme digne du Dahomey, un tribunal pareil à celui de l’Inquisition, des hécatombes humaines semblables à celles de l’ancien Mexique ; qu’au milieu de leurs prisons et de leurs échafauds, ils n’aient jamais cessé de croire à leur bon droit, à leur humanité, à leur vertu, et que, dans leur chute, ils, se soient considérés comme des martyrs ; cela, certes est étrange : une telle aberration d’esprit et un tel excès d’orgueil ne se rencontrent guère, et, pour les produire, il a fallu un concours de