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LA RÉVOLUTION


hommes, prêtres, parlementaires, catholiques orthodoxes, administrateurs, et magistrats qui ont l’imprudence d’alléguer la loi, industriels, négociants et propriétaires qui blâment le désordre, bourgeois riches qui ont l’égoïsme de rester chez eux ; gens aisés, polis et bien vêtus, tous suspects, parce qu’ils ont perdu au nouveau régime ou parce qu’ils n’en ont point pris les façons. — Telle est la brute colossale que les Girondins introduisent dans l’arène politique[1] ; pendant six mois ; ils agitent devant elle des drapeaux rouges, ils l’aiguillonnent, ils l’effarouchent, ils la poussent, à coups de décrets et de proclamations, contre leurs adversaires et contre ses gardiens, contre la noblesse et le clergé, contre les aristocrates de l’intérieur, complices de Coblentz, contre le « comité autrichien », complice de l’Autriche, contre le roi, dont ils transforment la prudence en trahison, contre le gouvernement tout entier, auquel ils imputent l’anarchie qu’ils fomentent et la guerre dont ils sont les provocateurs.

    lieu, suspect de royalisme et dénoncé comme accapareur, parce qu’il était riche. Ces forcenés s’en étaient saisis, et, sans autre forme de procès, apprêtaient son supplice, quand mon père accourut. Il les harangua avec tant de bonheur, que, tout d’un coup transformés, les massacreurs passèrent subitement d’une horrible rage à un enthousiasme d’humanité non moins exagéré. Dans leur nouveau transport, ils forcèrent de boire et de danser avec eux, autour de l’arbre de la liberté, le malheureux fermier encore pâle et tremblant, qu’un instant auparavant ils allaient impitoyablement pendre aux branches. »

  1. Lacretelle, Dix ans d’épreuves, 78 : « Les Girondins voulaient refaire un peuple romain avec la lie de Romulus, et, ce qu’il y a de pis, avec les brigands du 5 octobre. »