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LA RÉVOLUTION


les aventuriers de l’esprit, les cerveaux malsains, les illuminés de toute espèce, depuis Fauchet et Clootz jusqu’à Châlier ou Marat, et toute cette tourbe de déclassée besogneux et bavards qui promènent leurs idées creuses et leurs prétentions déçues sur le pavé des grandes villes. — Au second plan sont les hommes qu’une première ébauche d’éducation a mis en état d’entendre mal un principe abstrait et d’en mal déduire les conséquences, mais en qui l’instinct dégrossi supplée aux défaillances du raisonnement grossier : à travers la théorie, leur cupidité, leur envie, leur rancune devine une pâture, et le dogme jacobin leur est d’autant plus cher que, sous ses brouillards, leur imagination loge un trésor sans fond. Ils peuvent écouter sans dormir une harangue de club et applaudir juste aux tirades, faire une motion dans un jardin public et crier dans les tribunes, écrire un procès-verbal d’arrestation, rédiger un ordre du jour de garde nationale, prêter à qui de droit leurs poumons, leurs bras et leurs sabres ; mais leur capacité s’arrête là. De ce groupe sont des commis, comme Hébert et Henriot, des clercs, comme Vincent et Chaumette, des bouchers, comme Legendre, des maîtres de poste, comme Drouet, des maîtres menuisiers, comme Duplay, des maîtres d’école, comme ce Buchot qu’on fit ministre, et quantité d’autres, leurs pareils, ayant l’usage de l’écriture, quelques vagues notions d’orthographe et de l’aptitude pour la parole[1], sous-maîtres, sous-officiers, an-

  1. Dauban, la Démagogie à Paris en 1795, et Paris en 1794. Lire, dans ces deux ouvrages, les ordres du jour du général Hen-