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LES JACOBINS


« recevable en sa demande, et le condamne aux dépens » — Les deux journalistes entonnent aussitôt un chant de victoire, et leurs articles, répandus dans toute la France, dégagent la jurisprudence enfermée dans l’arrêt ; désormais, tout Jacobin peut impunément dénoncer, insulter, calomnier qui bon lui semble ; il est à l’abri des tribunaux et au-dessus des lois.

Mettons en regard la liberté qu’ils accordent à leurs adversaires. — Quinze jours auparavant, le grand écrivain qui, chaque semaine, dans le premier journal du temps, traite les questions sans toucher aux personnes, l’homme indépendant, droit et honorable entre tous, l’éloquent, le judicieux, le courageux défenseur de la liberté véritable et de l’ordre public, Mallet-du Pan, voit arriver dans son cabinet une députation du Palais-Royal[1]. Ils sont douze ou quinze, bien vêtus, assez polis, point trop malveillants, mais convaincus que leur intervention est légitime, et l’on voit par leurs discours à quel point le dogme politique en vogue a dérangé les cerveaux. « L’un d’eux, m’adressant la parole, me signifia qu’ils étaient députés des sociétés patriotiques du Palais-Royal pour m’intimer de changer de principes et de cesser d’attaquer la Constitution, sans quoi on exercerait contre moi les dernières violences. — Je ne reconnais, répondis-je, d’autre autorité que celle de la loi et des tribunaux. La loi seule est votre maître et le mien : c’est manquer à la Constitution que d’attenter à la liberté de parler et d’écrire. — La

  1. Mercure de France, du 27 novembre 1790.