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LA RÉVOLUTION


sorte de Sylla précoce, qui, à vingt-cinq ans, nouveau venu, sort tout de suite des rangs et à force d’atrocité se fait sa place[1]. Six ans auparavant, il a débuté dans la vie par le vol domestique : en visite chez sa mère, il est parti de nuit, emportant l’argenterie et des bijoux qu’il est venu manger dans un hôtel garni, rue Fromenteau, au centre de la prostitution parisienne[2] ; là-dessus, à la demande des siens, on l’a enfermé six mois dans une sorte de maison d’arrêt. De retour au logis, il a occupé ses loisirs à composer un poème ordurier d’après la Pucelle ; puis, par une contraction furieuse qui ressemble à un spasme, il s’est lancé, la tête en avant, dans la révolution. « Un sang calciné par l’étude », un orgueil colossal, une conscience hors des gonds, une imagination emphatique, sombre, hantée par les souvenirs sanglants de Rome et de Sparte, une intelligence faussée et tordue jusqu’à se trouver à l’aise dans l’habitude du paradoxe énorme, du sophisme

  1. Il porte le premier la parole, au nom de la Montagne, dans le procès du roi, et devient tout de suite président des Jacobins. Son discours contre Louis XVI est significatif. « Louis est un autre Catilina ; » il faut le tuer, d’abord comme traître, saisi en flagrant délit, ensuite comme roi, c’est-à-dire à titre d’ennemi naturel et de bête féroce prise dans un rets.
  2. Vatel, Charlotte Corday et les Girondins, I, préface, cxli (avec toutes les pièces de l’affaire, les lettres de Mme de Saint-Just, l’interrogatoire du 6 octobre 1786, etc). Les objets volés étaient six pièces d’argenterie, une bague fine, des pistolets garnis en or, des paquets de galon d’argent, etc. — Le jeune homme déclare « qu’il est au moment d’être placé dans les gardes de M. Le comte d’Artois, en attendant qu’il soit assez grand pour entrer dans les gardes du corps. » Il a songé aussi à entrer à l’Oratoire.