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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


effronté et du mensonge meurtrier[1], tous ces ingrédients dangereux, amalgamés dans la fournaise de l’ambition refoulée et concentrée, ont bouillonné en lui longtemps et silencieusement, pour aboutir à l’outrance continue, à l’insensibilité voulue, à la raideur automatique, à la politique sommaire de l’utopiste dictateur et exterminateur. — Manifestement, une minorité pareille n’acceptera pas la règle des débats parlementaires, et, plutôt que de céder à la majorité, elle importera dans la discussion les vociférations, les injures, les menaces, les bousculades d’une rixe, avec les poignards, les pistolets, les sabres et jusqu’aux « espingoles » d’un vrai combat.

« Vils intrigants, calomniateurs, scélérats, monstres, assassins, gredins, imbéciles, cochons[2] », voilà leurs apostrophes ordinaires, et ce ne sont là que leurs moindres violences. Il y a telle séance où le président est obligé de se couvrir trois fois et finit par briser sa sonnette. Ils l’injurient, ils le forcent à descendre du

  1. Cf. son discours contre le roi, ses rapports sur Danton, sur les Girondins, etc. Pour comprendre le caractère de Saint-Just, lire sa lettre à d’Aubigny, 20 juillet 1792 : « Depuis que je suis ici, je suis dévoré par une fièvre républicaine qui me dévore et me consume… Il est malheureux que je ne puisse rester à Paris. Je me sens de quoi surnager dans ce siècle… Vous êtes tous des lâches qui ne m’avez pas apprécié. Ma palme s’élèvera pourtant et vous obscurcira peut-être. Infâmes que vous êtes, je suis un fourbe, un scélérat, parce que je n’ai point d’argent à vous donner ? Arrachez-moi le cœur, et mangez-le ; vous deviendrez ce que vous n’êtes point : grands. »
  2. Buchez et Roux, XXIV, 296, 363 ; XXV, 323 ; XXVII, 144, 145. — Moniteur, XIV, 80 (paroles de Danton, David, Legendre, Marat).