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LA RÉVOLUTION


de fer, les a saisis et les serre à la gorge. Silence morne. On voit le paralytique Couthon se soulever de son banc : ses amis le portent à bras jusqu’à la tribune ; ami intime de Robespierre, c’est un personnage important et grave ; il s’assoit, et, de sa voix douce : « Citoyens, tous les membres de la Convention doivent être maintenant rassurés sur leur liberté… Maintenant vous reconnaissez que, dans vos délibérations, vous êtes libres[1]. » — Voilà le mot final de la comédie ; il n’y en a pas d’égal, même dans Molière. — Aux applaudissements des galeries, le cul-de-jatte sentimental conclut en demandant que l’on mette en arrestation les Vingt-Deux, les Douze, les ministres Clavière et Lebrun. Nul ne combat sa motion[2], « parce que les besoins physiques commencent à se faire sentir, et qu’une impression de terreur est répandue sur l’Assemblée ». Plusieurs se disent « qu’après tout les proscrits ne seront pas bien à plaindre d’être obligés de rester chez eux, qu’ils y seront en sûreté,… qu’il vaut mieux faire un petit mal que de s’exposer à de grands périls ». Un autre s’écrie : « Mieux vaut se dispenser de voter que de trahir son devoir ! » — Voilà le biais trouvé et les consciences à l’aise. Les deux tiers de l’Assemblée déclarent qu’ils ne prennent plus part à la délibération, s’abstiennent, restent assis à l’épreuve et à la contre-épreuve. Sauf une cinquantaine

  1. Buchez et Roux, XXVII, 401.
  2. Mortimer-Ternaux, VII, 569. Lettre du député Loiseau. — Meillan, 62.