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LA RÉVOLUTION


geantes, diplomatie, finances, justice, armée, administration, tout cela déborde au delà de sa compréhension si courte : on ne fait pas tenir un muids dans une bouteille[1]. Dans sa cervelle étroite, faussée et bouleversée par l’entassement des notions disproportionnées qu’on y verse, il ne se dépose qu’une idée simple, appropriée à la grossièreté de ses aptitudes et de ses instincts, je veux dire l’envie de tuer ses ennemis, qui sont aussi les ennemis de l’État, quels qu’ils soient, déclarés, dissimulés, présents, futurs, probables ou même possibles. Il porte sa brutalité et son effarement dans la politique, et voilà pourquoi son usurpation est si malfaisante. Simple brigand, il n’eût tué que pour voler, ce qui eût limité ses meurtres. Représentant de l’État, il entreprend le massacre en grand, et il a des moyens de l’accomplir. — Car il n’a pas encore eu le temps de détraquer le vieil outillage administratif ; du moins les rouages subalternes, gendarmes, geôliers, employés, scribes et comptables, sont toujours à leur place et sous la main. De la part des gens qu’on arrêtera, point de résistance ; accoutumés à la protection des lois et à la douceur des mœurs, ils n’ont jamais compté sur leurs bras pour se défendre, et n’imaginent pas qu’on veuille tuer si sommairement. Quant à la foule, dépouillée de

  1. Le 19 mars 1871, rue de Varennes, rencontrant un fédéré qui avait pris part au pillage de l’École d’État-major et revenait avec deux fusils sur l’épaule, je lui dis : « Mais c’est la guerre civile, et vous allez faire entrer les Prussiens dans Paris. — « J’aime mieux les Prussiens que M. Thiers ; M. Thiers est le Prussien de l’intérieur. »