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LE PROGRAMME JACOBIN


mourra de gras fondu ; et chez tous, gras ou maigres, l’âme est encore plus gâtée que le corps. Un respect superstitieux les courbe sous leur fardeau, ou les fait ramper devant leur maître. Serviles, paresseux, gourmands, débiles, incapables de résister aux intempéries, s’ils ont acquis les misérables talents de l’esclavage, ils en ont contracté les infirmités, les besoins et les vices. Une croûte d’habitudes ineptes et d’inclinations perverses, une sorte d’être factice et surajouté a recouvert chez eux la nature première. — Et, d’autre part, la meilleure portion de leur nature première n’a pu se développer, faute d’emploi. Séparés les uns des autres, ils n’ont point acquis le sentiment de la communauté ; ils ne savent pas, comme leurs frères des savanes, s’assister entre eux et subordonner l’intérêt de l’individu à l’intérêt du troupeau. Chacun d’eux tire à soi, nul ne se soucie des autres, tous sont égoïstes, les instincts sociaux ont avorté. — Tel est l’homme aujourd’hui, une créature défigurée qu’il faut restaurer, une créature inachevée qu’il faut parfaire. Ainsi notre tâche est double : nous avons à démolir et nous avons à construire ; nous dégagerons d’abord l’homme naturel, pour édifier ensuite l’homme social.

L’entreprise est immense, et nous en sentons l’immensité. « Il faut, dit Billaud-Varennes[1], recréer en quelque sorte le peuple qu’on veut rendre à la liberté, puisqu’il

  1. Buchez et Roux, XXXII, 338 (Rapport à la Convention sur la théorie du gouvernement démocratique, par Billaud-Varennes, 20 avril 1794).


  la révolution. v.
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