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LE PROGRAMME JACOBIN


sa peine sera infinie : au jugement final, s’ouvre pour elle une éternité de supplices ou de délices. Devant cet intérêt disproportionné, tous les autres s’évanouissent ; désormais sa grande affaire est d’être trouvée juste, non par les hommes, mais par Dieu, et, chaque jour, recommence en elle l’entretien tragique dans lequel le juge interroge et le pécheur répond. — Par ce dialogue qui a duré dix-huit siècles et qui dure encore, la conscience s’est affinée, et l’homme a conçu la justice absolue. Qu’elle réside en un maître tout-puissant, ou qu’elle subsiste en elle-même, à la façon des vérités mathématiques, cela n’ôte rien à sa sainteté, ni partant à son autorité. Elle commande d’un ton supérieur, et ce qu’elle commande doit être accompli, coûte que coûte : il y a des devoirs stricts, auxquels tout homme est rigoureusement astreint. Nul engagement ne l’en dispense ; s’il y manque parce qu’il a pris des engagements contraires, il n’en est pas moins coupable, et, de plus, il est coupable de s’être engagé : c’était un crime que de s’engager à des crimes. Ainsi sa faute lui apparaît comme double, et l’aiguillon intérieur le blesse deux fois, au lieu d’une fois. C’est pourquoi, plus une conscience est délicate, plus elle a de répugnance à se démettre ; d’avance, elle repousse tout pacte qui pourrait la conduire à mal faire, et refuse à des hommes le droit de lui imposer des remords.

En même temps, un autre sentiment a surgi, non moins précieux, et plus vivace, plus humain, plus efficace encore. Seul dans son château fort, à la tête de sa