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LA RÉVOLUTION


point ; en échange, je lui dois, pour ma quote-part, les moyens d’entretenir son arme : qui jouit d’un service est tenu de le défrayer. Il y a donc entre lui et moi, sinon un contrat exprès, du moins un engagement tacite, analogue à celui qui lie un enfant et ses parents, un croyant et son Église, et, des deux côtés, notre engagement est précis. Il promet de veiller à ma sûreté, au dehors et au dedans ; je promets de lui en fournir les moyens, et ces moyens sont mon respect et ma reconnaissance, mon zèle de citoyen, mon service de conscrit, mes subsides de contribuable, bref ce qu’il faut pour soutenir une armée, une marine et une diplomatie, des tribunaux civils et des tribunaux criminels, une gendarmerie et une police, une agence centrale et des agences locales, un corps harmonieux d’organes dont mon obéissance et ma fidélité sont l’aliment, la substance et le sang. Cette fidélité et cette obéissance, riche ou pauvre, catholique, protestant, juif ou libre-penseur, royaliste ou républicain, individualiste ou socialiste, qui que je sois, en honneur et conscience je les dois, car j’en ai reçu l’équivalent ; je suis bien aise de n’être ni conquis, ni assassiné, ni volé ; je rembourse l’État, et tout juste, de ce qu’il dépense en outillage et en surveillance pour contenir les convoitises brutales, les appétits avides, les fanatismes meurtriers, toute une meute hurlante, dont tôt ou tard je deviendrais la proie, s’il ne me couvrait incessamment de sa vigilante protection. Quand il me réclame ses déboursés, ce n’est pas mon bien qu’il me prend, c’est son bien qu’il me