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LES GOUVERNANTS


marché vers cette double cime. « À cinq ans[1], dit-il, j’aurais voulu être maître d’école, à quinze ans professeur, auteur à dix-huit, génie créateur à vingt », ensuite et jusqu’au bout, apôtre et martyr de l’humanité. « Dès mon bas âge, j’ai été dévoré par l’amour de la gloire, passion qui changea d’objet pendant les diverses périodes de ma vie, mais qui ne m’a pas quitté un seul instant. » Pendant trente ans, il a roulé en Europe ou végété à Paris, en nomade ou en subalterne, écrivain sifflé, savant contesté, philosophe ignoré, publiciste de troisième ordre, aspirant à toutes les célébrités et à toutes les grandeurs, candidat perpétuel et perpétuellement repoussé : entre son ambition et ses facultés, la disproportion était trop forte. Dépourvu de talent[2], incapable de critique, médiocre d’esprit, il n’était fait que pour enseigner une science ou exercer un art, pour être un professeur ou un médecin plus ou moins hasardeux et heureux, pour suivre, avec des écarts, une voie tracée d’avance. Mais, dit-il, « j’ai constamment rejeté tout sujet sur lequel je ne pouvais me promettre… d’arriver à de grands résultats et d’être original ; car je ne puis me décider à remanier

  1. Journal de la République française, n° 98 (Portrait de l’Ami du peuple par lui-même).
  2. Lire son roman les Aventures du jeune comte Potowski. Lettre de Lucile : « Je ne pense qu’à Potowski ; allumée au flambeau de l’amour, mon imagination me présente sans cesse sa douce image. » — Lettre de Potowski après son mariage : « À présent, Lucile accorde à l’amour tout ce que permet la pudeur… Dans les transports de mon ravissement, je crois les dieux jaloux de mon sort. »