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LES GOUVERNANTS


qui exigeaient l’extermination des Prussiens, la capture du roi de Prusse, le renversement de tous les trônes et le meurtre de Louis XVI, il a négocié la retraite presque pacifique de Brunswick[1], il a travaillé à séparer la Prusse de la coalition[2], il a voulu changer la guerre de propagande en une guerre d’intérêt, il a fait décréter[3] par la Convention que « la France ne s’immiscerait en aucune manière dans le gouvernement des autres puissances », il a obtenu l’alliance de la Suède, il a posé d’avance les bases du traité de Bâle, il a songé à sauver le roi[4]. À

  1. Sybel, I, 558, 562, 585 (les intermédiaires furent Dumouriez et Westermann).
  2. Ib. t. II, 290, 291, 293, et II, 28.
  3. Buchez et Roux, XXV, 445 (séance du 13 avril 1793).
  4. Récit du comte Théodore de Lameth, puîné des quatre frères Lameth, colonel, député à la Législative. Pendant la Législative, il avait beaucoup connu Danton ; après les massacres de septembre, il s’était réfugié en Suisse, et il était inscrit sur la liste des émigrés. Un mois environ avant la mort du roi, il voulut tenter un suprême effort et vint à Paris, « J’allai droit chez Danton et, sans me nommer, j’insistai pour être introduit sur-le-champ. À la fin, on me fit entrer et je trouvai Danton dans le bain. — Vous ici, s’écria-t-il, mais savez-vous que d’un mot je puis vous faire guillotiner ? — Danton, lui dis-je, vous êtes un grand criminel, mais il y a des infamies dont vous n’êtes pas capable, entre autres, de me dénoncer. — Vous venez pour sauver le roi ? — Oui. » — Là-dessus la conversation s’engagea, très amicale et très confiante. — « Je consens, dit Danton, à essayer de sauver le roi, mais il me faut un million pour gagner les voix nécessaires, et il me le faut d’ici à huit jours. Je vous préviens que, si je ne puis lui assurer la vie, je voterai sa mort. Je veux bien sauver sa tête, mais non perdre la mienne. » — M. de Lameth se mit en quête, vit l’ambassadeur d’Espagne, fit parler à Pitt, qui refusa. — Danton, comme il l’avait annoncé, vota la mort ; puis il facilita ou toléra le retour de M. de Lameth en Suisse.

    (Ce récit m’est transmis par M…, qui l’a recueilli de la bouche du comte Théodore de Lameth.)