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LES GOUVERNANTS


bref le dedans et les dehors les plus propres à capter la confiance et les sympathies d’une plèbe gauloise et parisienne, tout concourt à composer « sa popularité infuse et pratique » et à faire de lui « un grand seigneur de la sans-culotterie[1] ». — Avec de telles dispositions pour jouer un rôle, on est bien tenté de le jouer, sitôt que le théâtre s’ouvre, quel que soit le théâtre, interlope et fangeux, quels que soient les acteurs, polissons, chenapans et filles perdues, quel que soit le rôle, ignoble, meurtrier, et finalement mortel pour celui qui le prendra. — Pour résister à la tentation, il faudrait les répugnances que la culture fine ou profonde développe dans les sens et dans l’âme ; et, chez Danton, ces répugnances manquent. Ni au physique, ni au moral, il n’a de dégoûts : il peut embrasser Marat[2], fraterniser avec des ivrognes,

  1. Mots de Fabre d’Églantine et de Garat. — Beugnot, très bon observateur, a bien vu Danton (Mémoires, I, 249 à 252). — M. Dufort de Cheverny (Mémoires publics par M. Robert de Crèvecœur), après l’exécution de Babeuf en 1797, eut l’occasion d’entendre dans une auberge, entre Vendôme et Blois, la conversation de Samson, le bourreau, et d’un commissaire des guerres. Samson raconta les derniers moments de Danton et de Fabre d’Églantine. En chemin, Danton demanda s’il était permis de chanter, « Il n’y a pas de défense, » dit Samson. — « C’est bien, tâchez de retenir ce couplet que je viens de faire. » — Et il chanta sur un air à la mode :

    « Nous sommes menés au trépas
    Par quantité de scélérats,
     C’est ce qui nous désole.
    Mais bientôt le moment viendra
    Où chacun d’eux y passera,
     C’est ce qui nous console. »

  2. Buchez et Roux, XXI, 108 (Discours imprimé de Pétion) : « Marat embrassa Danton, et Danton l’embrassa… J’atteste que ces faits se sont passés devant moi. »