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LA RÉVOLUTION


tous les instincts primitifs, les bons à côté des mauvais, que la culture n’a point desséché ni raccorni, qui a pu faire et laisser faire les massacres de septembre, mais qui ne se résigne pas à pratiquer de ses mains, tous les jours, à l’aveugle, le meurtre systématique et illimité. Déjà en septembre, « couvrant sa pitié sous ses rugissements[1] », il a dérobé ou arraché aux égorgeurs plusieurs vies illustres. Quand la hache approche des Girondins, il en est « malade de douleur » et de désespoir. « Je ne pourrai pas les sauver », s’écriait-il, « et de grosses larmes tombaient le long de son visage ». — D’autre part, il n’a pas sur les yeux le bandeau épais de l’incapacité et de l’imprévoyance. Il a démêlé le vice intérieur du système, le suicide inévitable et prochain de la Révolution. « Les Girondins nous ont forcés de nous jeter dans le sans-culottisme qui les a dévorés, qui nous dévorera tous, qui se dévorera lui-même[2]. » — « Laissez faire Robespierre et Saint-Just ; bientôt il ne restera plus en France qu’une Thébaïde avec une vingtaine de Trappistes politiques[3]. » — À la fin, il voit plus clair encore : « À pareil jour, j’ai fait instituer le Tribunal révolutionnaire : j’en demande pardon à Dieu et aux hommes. — Dans les révolutions,

  1. Garat, 305, 310, 313. — « Ses amis avaient pour lui une espèce de culte. »
  2. Garat, 317. — Thibaudeau, Mémoires, I, 59.
  3. Quinet, la Révolution, II, 304 (d’après les mémoires inédits de Baudot). Ces paroles de plusieurs amis de Danton portent la marque de Danton lui-même ; en tous cas, elles expriment très exactement sa pensée.