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LES GOUVERNANTS


nécessaire, ils vont tous redevenir bons ; aussi bien leur volonté collective est « la voix de la raison et de l’intérêt public ». C’est pourquoi, dès qu’ils sont réunis, ils sont sages. « Il faudrait, s’il était possible, que l’assemblée des délégués du peuple délibérât en présence du peuple entier » ; à tout le moins, le corps législatif devrait siéger « dans un édifice vaste et majestueux, ouvert à douze mille spectateurs ». Notez que, depuis quatre ans, à la Constituante, à la Législative, à la Convention, à l’Hôtel de Ville, aux Jacobins, partout où s’est trouvé Robespierre, les tribunes n’ont jamais cessé de vociférer ; au choc d’une expérience si palpable et si présente, tout esprit s’ouvrirait ; le sien reste bouché, par le préjugé ou par l’intérêt ; la vérité, même physique, n’y a point d’accès, soit parce qu’il est incapable de la comprendre, soit parce qu’il a besoin de l’exclure. Il est donc obtus ou charlatan, et, de fait, il est l’un et l’autre ; car l’un et l’autre se fondent ensemble pour former le cuistre, c’est-à-dire l’esprit creux et gonflé qui, parce qu’il est plein de mots, se croit plein d’idées, jouit de ses phrases, et se dupe lui-même pour régenter autrui.

Tel est son nom, son caractère et son rôle ; dans la Révolution, qui est une tragédie artificielle et déclamatoire, ce rôle est le premier. Devant le cuistre, peu à peu

    — « Posez d’abord cette maxime incontestable, que le peuple est bon et que ses délégués sont corruptibles… ». — XXX, 464 (Discours du 25 décembre 1793). « Les vertus sont l’apanage du malheureux et le patrimoine du peuple. »