Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
244
LA RÉVOLUTION


pâture ; elle en prend où elle en trouve, je veux dire, dans la régularité stérile de sa modération bourgeoise. Robespierre n’a pas de besoins, comme Danton ; il est sobre ; les sens ne le tourmentent pas ; s’il y cède, c’est tout juste, en rechignant. Rue de Saintonge, à Paris, « pendant sept mois, dit son secrétaire[1], je ne lui ai connu qu’une femme, qu’il traitait assez mal… Très souvent il lui faisait refuser sa porte » : quand il travaille, il ne faut pas qu’on le dérange, et il est naturellement rangé, laborieux, homme de cabinet, homme d’intérieur, au collège écolier modèle, dans sa province avocat correct, à l’Assemblée député assidu, partout exempt de tentations et incapable d’écarts. — « Irréprochable », voilà le mot que, depuis sa première jeunesse, une voix intérieure lui répète tout bas pour le consoler de son obscurité et de son attente ; il l’a été, il l’est, et il le sera ; il se le dit, il le dit aux autres, et tout d’une pièce, sur ce fondement, son caractère se construit. Ce n’est pas lui qu’on séduira, comme Desmoulins par des dîners, comme Barnave par des caresses, comme Mirabeau et Danton par de l’argent, comme les Girondins par l’attrait insinuant de la politesse ancienne et de la société choisie, comme les Dantonistes par l’appât de la vie large et de la licence complète : il est l’incorruptible. Ce n’est pas lui qu’on arrêtera ou qu’on détournera comme les Feuillants, les Girondins, les Dantonistes, les hommes d’État, les hommes spéciaux, par des considérations d’ordre secondaire, ménagement

  1. L. Villiers, 2.