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LA RÉVOLUTION


dans son grand discours à la Convention[1] ; pendant tout l’intervalle, dans chacun de ses écrits, harangues ou rapports, on l’entend qui affleure et perce en exordes, en parenthèses, en péroraisons, et roule à travers les phrases comme une basse continue[2]. — À force de s’en délecter, il ne peut plus écouter autre chose, et voici justement que les échos du dehors viennent soutenir de leur accompagnement la cantate intérieure qu’il se chante lui-même. Vers la fin de la Constituante, par la retraite ou l’élimination des hommes à peu près capables et compétents, il devient l’un des ténors en vue sur la scène politique, et décidément, aux Jacobins, le ténor en vogue. — « Unique émule du Romain Fabricius », lui écrit la succursale de Marseille ; « immortel défenseur des droits du peuple », lui écrit la jacobinière de Bourges[3]. Au salon de 1791, il y a deux portraits de lui, l’un avec cette inscription : l’Incorruptible. On joue au théâtre Molière une pièce de circonstance, où « il foudroie Rohan et Condé de sa logique

    corruption. » — Ib. Liste « des vertus que doit avoir un représentant du tiers état ». — Ib., 83. Il a déjà son ton pleurard et ses attitudes de victime : « Ils méditent de changer en martyrs les défenseurs du peuple. Fussent-ils assez puissants pour m’enlever tous les biens qu’on m’envie, me raviront-ils mon âme et la conscience du bien que j’ai voulu faire ? »

  1. Buchez et Roux, XXXIII, 422 : « Qui suis-je, moi qu’on accuse ? Un esclave de la liberté, un martyr vivant de la République, la victime autant que l’ennemi du crime ! » Et tout le discours.
  2. Notamment dans son adresse aux Français (août 1791) : sous forme de justification, c’est son apothéose. — Cf. (Hamel, II, 212) son discours aux Jacobins, 27 avril 1792.
  3. Hamel, I, 517, 532, 559 ; II, 5.