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LA RÉVOLUTION


appétits. Au bout de trois ans, Robespierre a rejoint Marat dans le poste extrême où Marat s’est établi dès les premiers jours, et le docteur s’approprie la politique, le but, les moyens, l’œuvre et presque le vocabulaire du fou[1] : dictature armée de la canaille urbaine, affolement systématique de la populace soudoyée, guerre aux bourgeois, extermination des riches, proscription des écrivains, des administrateurs et des députés opposants. Même pâture aux deux monstres ; seulement Robespierre ajoute, à la ration du sien, « les hommes vicieux », en guise de gibier spécial et préféré. Dès lors, il a beau s’abstraire de l’action, s’enfermer dans les phrases, boucher ses chastes oreilles, lever au ciel ses yeux de prédicateur, il ne peut s’empêcher d’entendre ou de voir autour de lui, sous ses pieds immaculés, les os qui craquent, le sang qui ruisselle, la gueule insatiablement béante du monstre qu’il a formé et qu’il chevauche[2]. À

  1. Rapport de Courtois, n° 43. — Cf. Hamel, III, 43, 71. — (Cette pièce essentielle est aux Archives, F7, 4446, et comprend deux notes écrites de la main de Robespierre, en juin et juillet 1793). « Quels sont nos ennemis ? Les hommes vicieux et les riches… Quels sont les moyens de terminer la guerre civile ? Punir les traîtres et les conspirateurs, surtout les députés et les administrateurs coupables,… faire des exemples terribles,… proscrire les écrivains perfides et contre-révolutionnaires… Les dangers intérieurs viennent des bourgeois. Pour vaincre les bourgeois, il faut rallier le peuple. Il faut que l’insurrection actuelle continue… Il faut que l’insurrection s’étende de proche en proche sur le même plan… Il faut que les sans-culottes soient payés et restent dans les villes. Il faut leur procurer des armes, les colérer, les éclairer. »
  2. Le Comité de Salut public, et notamment Robespierre, ont connu et approuvé expressément les noyades de Nantes et les principaux massacres exécutés par Carrier, Turreau, etc. (Comte