Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
LES GOUVERNANTS


cette gueule toujours plus affamée, il faut chaque jour un plus ample festin de chair humaine, et il est tenu, non seulement de la laisser manger, mais encore de lui fournir la nourriture, souvent de ses propres mains, sauf à les laver ensuite, et à dire, ou même à croire, que jamais une éclaboussure de sang n’a taché ses vertueuses mains. À l’ordinaire, il se contente de flatter et caresser la bête, de l’excuser, de l’approuver, de la laisser faire. Déjà pourtant et plus d’une fois, tenté par l’occasion, il l’a lancée en lui désignant une proie[1]. Maintenant, il va lui-même chercher la proie vivante, il l’enveloppe dans le filet de sa rhétorique[2], il l’apporte toute liée dans la gueule ouverte ; il écarte d’un geste absolu les bras d’amis, de femmes, de mères, les mains suppliantes qui se tendent pour préserver des vies[3] ; autour du cou des malheureux qui se débattent, il met subite-

    de Martel, Étude sur Fouché, 257-265). — (Id., Types révolutionnaires, 41, 59). — Buchez et Roux, XXXIII, 101 (26 mai 1794). Rapport de Barère et décret de la Convention ordonnant qu’il ne sera fait aucun prisonnier anglais. Les soldats français n’avaient pas voulu exécuter le décret de la Convention ; sur quoi Robespierre s’écrie (Discours du 8 thermidor) : « Je vous avertis que votre décret contre les Anglais a été éternellement violé, que l’Angleterre, tant maltraitée par nos discours, est ménagée par nos armes. »

  1. Par exemple les Girondins, cf. la Révolution, VI, 37.
  2. Buchez et Roux, XXX, 157. Projet de discours sur la faction Fabre d’Églantine. — Ib., 336. Discours aux Jacobins contre Clootz. — XXXII, 18. Projet de rapport sur l’affaire Chabot. — Ib., 69. Discours pour maintenir l’arrestation de Danton.
  3. Ib., XXX, 378 (20 décembre 1793). À propos des femmes qui viennent en foule à la Convention demander la liberté de leurs maris. « Des républicaines doivent-elles renoncer à la qualité de citoyennes pour se rappeler qu’elles sont épouses ? »