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LA RÉVOLUTION


lieux, livide ; » ses yeux clignotent sous ses lunettes ; et quel regard ! — « Ah ! disait un Montagnard, vous auriez voté comme nous, le 9 thermidor, si vous aviez vu ses yeux verts ! » — Au physique, comme au moral, il devient un second Marat, plus bourrelé, parce que sa surexcitation n’est pas encore un équilibre, et parce que, sa politique étant une morale, il est obligé d’être plus largement exterminateur.

Mais c’est un Marat décent, de tempérament timide, inquiet[1], contenu, fait pour l’enseignement et la plaidoirie, non pour l’initiative et le gouvernement, qui agit à contre-cœur, et veut être plutôt le pape que le dictateur de la Révolution[2]. Avant tout, il tient à rester un Grandisson politique ; jusqu’au bout, non seulement en public et pour autrui, mais pour lui-même et dans son for intime, il garde son masque. Aussi bien, son masque s’est collé à sa peau ; il ne les distingue plus l’un de l’autre ; jamais imposteur n’a plus soigneusement appli-

  1. Merlin de Thionville. « Une inquiétude vague, pénible, effet de son tempérament, fut l’unique cause de son activité. »
  2. Barère, Mémoires : « Il voulait gouverner la France par influence plutôt que par ordre. » — Buchez et Roux, XIV, 188 (article de Marat). Dans les premiers mois de la Législative, Marat vit une fois Robespierre, et lui exposa ses projets de coups de main populaires et de massacres épuratoires. « Robespierre m’écoutait avec effroi, il pâlit et garda quelque temps le silence. Cette entrevue confirma l’opinion que j’avais toujours eue de lui, qu’il réunissait aux lumières d’un sage sénateur l’intégrité d’un véritable homme de bien et le zèle d’un vrai patriote, mais qu’il manquait également des vues et de l’audace d’un homme d’État. » — Thibaudeau, Mémoires, I, 58. — Seul entre tous les membres du Comité de Salut public il n’est pas allé en mission dans les départements.