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LA RÉVOLUTION


« ordres, il faut que je les suive, je ne veux pas me faire couper la tête. » — Sous peine de mort, le représentant en mission est terroriste, comme ses collègues de la Convention et du Comité de Salut public, mais avec un bien plus profond ébranlement de sa machine nerveuse et morale ; car il n’opère pas, comme eux, sur le papier, à distance, contre des catégories d’êtres abstraits, anonymes et vagues ; ce n’est point seulement par l’intelligence qu’il perçoit son œuvre, c’est aussi par l’imagination et les sens. S’il est du pays, comme Le Carpentier, Barras, Lebon, Javogues, Couthon, André Dumont et tant d’autres, il connaît les familles qu’il proscrit ; les noms ne sont pas pour lui des assemblages de lettres, mais des rappels de souvenirs personnels et des évocations de figures vivantes. Dans tous les cas, il est le spectateur, l’artisan et le bénéficier de sa propre dictature ; la vaisselle et l’argent qu’il confisque passent sous ses yeux, dans ses mains ; il voit défiler les suspects qu’il incarcère ; il est là quand son tribunal rend des sentences de mort ; souvent la guillotine, à laquelle il fournit des têtes, travaille sous ses fenêtres ; il loge dans l’hôtel d’un émigré, il réquisitionne les meubles, le

    faire contre ce Darthé soutenu par Le Bas et Saint-Just ? Il m’aurait dénoncé. » — Ib., 128. À propos d’un certain Lefebvre, vétéran de la Révolution arrêté et traduit devant le Tribunal révolutionnaire par ordre de Lebon. « Il fallait, dit Lebon, opter entre le faire juger, ou bien être dénoncé et poursuivi moi-même, sans le garantir. » — Beaulieu, Essai, V, 233 : « J’ai peur et je fais peur, tel fut le principe de toutes les atrocités révolutionnaires. »