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LES GOUVERNANTS


menace dans l’âme et jusque dans les entrailles, que l’autre, un homme à poigne, en meurt quelques jours après, de saisissement[1]. — Non seulement il tire le sabre, mais il s’en sert ; des pétitionnaires, un marinier qu’il va frapper sont obligés de se sauver à toutes jambes ; il accule le général Moulins dans l’embrasure d’une croisée et le frappe[2]. — On « tremble » de l’aborder, encore plus de le contredire. Amené devant lui, l’envoyé du Comité de Salut public, Jullien de la Drôme, a soin de se mettre « à une très grande distance, dans un coin de la chambre », et il fait sagement d’esquiver le premier bond ; plus sagement encore, aux cris de Carrier, il répond par le seul argument valable : « Si tu me fais périr aujourd’hui, tu seras guillotiné dans huit jours[3]. » Quand on est aux prises avec un chien enragé, il faut lui porter l’épée à la gorge ; nul autre moyen de lui faire rentrer ses crocs et sa bave. — Aussi bien, chez Carrier, comme chez un chien enragé, le cerveau tout entier est occupé par le rêve machinal et

  1. Buchez et Roux, XXXIV, 156 (Déposition de Vaugeois, accusateur public de la commission militaire).
  2. Ib., 169 (Déposition de Thomas). — Berryat-Saint-Prix, 34, 35. — Buchez et Roux, 148. « Il a reçu avec des soufflets des membres de la Société populaire et à coups de sabre des officiers municipaux qui lui demandaient des subsistances. » — « Il tire son sabre contre le marinier, et lui porte un coup, que celui-ci n’esquive qu’en fuyant. »
  3. Ib., 196 (Déposition de Jullien). « Carrier me dit avec emportement : « C’est donc toi, sacré gueux, qui te permets de me dénoncer au Comité de Salut public… Comme il importe quelquefois au bien général de se défaire de certaines gens en secret, je ne me donnerai pas la peine de t’envoyer à la guillotine, je serai moi-même ton bourreau. »