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iv
PRÉFACE


par surcroît, à l’aveugle, il engloutissait aussi les maigres, et en plus grand nombre que les grasses ; d’ailleurs, en vertu de ses instincts et par un effet immanquable de la situation, une ou deux fois chaque année, il mangeait ses pareils, à moins qu’il ne fût mangé par eux. — Voilà certes un culte instructif, au moins pour les historiens, pour les purs savants ; s’il a conservé des fidèles, je ne songe point à les convertir ; en matière de foi, il ne faut jamais discuter avec un dévot. Aussi bien, ce volume, comme les précédents, n’est écrit que pour les amateurs de zoologie morale, pour les naturalistes de l’esprit, pour les chercheurs de vérité, de textes et de preuves, pour eux seulement, et non pour le public, qui sur la Révolution a son parti pris, son opinion faite. Cette opinion a commencé à se former entre 1825 et 1830, après la retraite ou la mort des témoins oculaires : eux disparus, on a pu persuader au bon public que les crocodiles étaient des philanthropes, que plusieurs d’entre eux avaient du génie, qu’ils n’ont guère mangé que des coupables, et que, si parfois ils ont trop mangé, c’est à leur insu, malgré eux, ou par dévouement, sacrifice d’eux-mêmes au bien commun.


Menthon-Saint-Bernard, juillet 1884.