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LE PROGRAMME JACOBIN

II

Suivons ce déroulement intérieur, et remontons, avec le Jacobin, aux principes, au pacte primordial, à l’institution de la société. Il n’y a qu’une société juste, celle qui est fondée sur « le contrat social » ; et « les clauses de ce contrat, bien entendues, se réduisent toutes à une seule, l’aliénation totale de chaque individu, avec tous ses droits, à la communauté,… chacun se donnant tout entier, tel qu’il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces, dont les biens qu’il possède font partie[1] ». Nulle exception ni réserve. Rien de ce qu’il était ou avait auparavant ne lui appartient plus en propre ; ce que désormais il est ou il a, ne lui est dévolu que par délégation. Ses biens et sa personne sont maintenant une portion de la chose publique ; s’il les possède, c’est de seconde main ; s’il en jouit, c’est par octroi. Il en est le dépositaire, le concessionnaire, l’administrateur, rien de plus[2]. En d’autres termes, il

  1. Ce texte et les suivants sont extraits de Rousseau (Contrat social). — Cf. l’Ancien Régime, vol. II, livre III, ch. iv, 46-50, 68-75.
  2. L’ascendant de cette idée est si universel et si précoce, qu’on la trouve énoncée par Mirabeau dès la séance du 10 août 1789 (Buchez et Roux, II, 257) : « Je ne connais que trois manières d’exister dans la société : il faut y être mendiant, voleur ou salarié. Le propriétaire n’est lui-même que le premier des salariés. Ce que nous appelons vulgairement sa propriété n’est autre chose que le prix que lui paye la société pour les distributions qu’il est chargé de faire aux autres individus, par ses consommations et ses dépenses. Les propriétaires sont les agents, les économes du corps social. »