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LES GOUVERNÉS


C’est pourquoi, sur les listes de guillotinés, de détenus et d’émigrés, les hommes et les femmes de condition inférieure sont en nombre immense, en plus grand nombre que leurs compagnons de la classe supérieure et de la classe moyenne mises ensemble. Sur 12 000 condamnés à mort dont on a relevé la qualité et la profession, on compte 7545[1] paysans, laboureurs, garçons de charrue, ouvriers des différents corps d’état, cabaretiers et marchands de vin, soldats et matelots, domestiques, filles et femmes d’artisans, servantes et couturières. Sur 1900 émigrés du Doubs, plus de 1100 appartiennent au peuple. Vers le mois d’avril 1794, toutes les prisons de France s’emplissent de cultivateurs[2] ; dans les seules prisons de Paris, deux mois avant le 9 Thermidor, il y en avait 2000[3]. Sans parler des onze départements de l’Ouest, où quatre à cinq cents lieues carrées de territoire ont été dévastées, où vingt villes et dix-huit cents villages ont été détruits[4], où le but avoué de la politique jacobine est l’anéantissement systématique et

    trand, Nismes, 3 frimaire) : « Nous voyons avec peine que les patriotes en place ne sont point délicats sur les moyens de faire arrêter, de trouver des coupables, et que la classe précieuse des artisans n’est pas exceptée. »

  1. Berryat-Saint-Prix, la Justice révolutionnaire, 1re  édit., 229.
  2. Un séjour en France, 186 : « Je m’aperçois que la plupart des gens que l’on arrête à présent sont des fermiers. » (Par suite de la réquisition des grains et de l’application de la loi du maximum aux grains.)
  3. Bulletin du Tribunal révolutionnaire, n° 31 (Déposition de Toutin, secrétaire du parquet). — 1200 de ces malheureux furent élargis après le 9 Thermidor.
  4. Moniteur, séance du 29 janvier 1797 (Rapport de Luminais). — Danican, les Brigands démasqués, 194.