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FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


rangée et contenue : personne n’avance que pas à pas et à son tour. — Dans aucun pays de l’Europe, les vies humaines ne sont si bien encadrées, par un cadre si universel, si simple, si satisfaisant pour les yeux et pour la logique : l’édifice, où désormais les Français se meuvent, est régulier de fond en comble, par l’ensemble et par les détails, à l’extérieur comme à l’intérieur. Ses étages superposés s’ajustent l’un sur l’autre avec une symétrie exacte ; ses masses opposées se font contrepoids ; toutes ses lignes et toutes ses formes, toutes ses grandeurs et proportions, toutes ses poussées et résistances concourent, par leurs dépendances mutuelles, à composer une harmonie et à maintenir un équilibre. En cela, il est classique et appartient à une famille d’œuvres que le même esprit, guidé par la même méthode, produit en Europe depuis cent cinquante ans[1]. Dans l’ordre physique, il a pour analogues les architectures de Mansart, de Le Nôtre et de leurs successeurs, depuis les bâtisses et les jardins de Versailles jusques et y compris la Madeleine et la rue de Rivoli. Dans l’ordre intellectuel, il a pour analogues les formes littéraires du XVIIe et du XVIIIe siècle, la belle prose oratoire, la poésie éloquente et correcte notamment le poème épique et la tragédie, y compris les tragédies et les poèmes épiques que l’on fabriquait encore par routine aux environs de l’an 1810. Il leur correspond et leur fait pendant dans l’ordre politique et social, parce qu’il provient du même

  1. L’Ancien Régime, tome I, liv. III, ch. II et tome II, ib., ch. III.