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FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


bientôt une Église et une orthodoxie d’État ; un code systématique, complet et précis, excellent pour régir la vie privée, sorte de géométrie morale, où les théorèmes, rigoureusement enchaînés, viennent se suspendre aux définitions et aux axiomes de la justice abstraite ; une échelle de grades superposés, que chacun peut gravir depuis le premier échelon jusqu’au dernier ; des titres de noblesse de plus en plus hauts, attaches aux fonctions de plus en plus hautes ; des spectabiles, illustres, clarissimi, perfectissimi, analogues aux barons, comtes, ducs et princes de Napoléon ; un tableau d’avancement où l’on a vu et où l’on voit de simples soldats, des paysans, un berger, un barbare, un fils de colon, un petit-fils d’esclave, s’élever par degrés aux premières dignités, devenir patrice, comte, duc, maître de la cavalerie, césar, auguste, et revêtir la pourpre impériale, trôner dans les splendeurs du décor le plus somptueux et parmi les prosternements du cérémonial le plus étudié, être, de son vivant, appelé dieu, et, après sa mort, adoré comme un dieu, être dieu tout à fait, mort ou vif, sur la terre[1].

Un édifice si colossal, si concerté, si mathématique, ne pouvait pas périr en entier : ses blocs étaient trop massifs, trop bien équarris, trop exactement appareillés ; et d’ailleurs le marteau des démolisseurs n’attei-

  1. Lire la Notitia dignitatum tam civilium quam militarium in partibus orientis et occidentis. C’est l’almanach impérial pour le commencement du Ve siècle ; onze ministères au centre, chacun avec ses bureaux, ses divisions, ses subdivisons et ses escouades de fonctionnaires superposés.


  le régime moderne, i.
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