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FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


de Frédéric II il n’était plus qu’une majesté de parade ; le Pape avait toujours la tiare, le bâton pastoral, les clefs de Grégoire VII et d’innocent III ; mais depuis la mort de Boniface VIII il n’était plus qu’une majesté d’église. Les deux restaurations manquées n’avaient fait qu’ajouter des ruines à des ruines, et le fantôme de l’ancien empire restait seul debout parmi tant de débris. Avec ses alignements et ses dorures, il apparaissait, auguste, éblouissant, dans une gloire, comme le chef-d’œuvre unique de l’art et de la raison, comme la forme idéale de la société humaine. Dix siècles durant, ce spectre a hanté le moyen âge, et nulle part si fortement qu’en Italie[1]. — Il revient une dernière fois en 1800, il surgit et s’établit à demeure[2] dans l’imagination magnifique et attardée

  1. Cf., entre autres indices, le De Monarchia de Dante.
  2. On peut suivre et dater, dans le cerveau de Napoléon, la formation de cette idée capitale. Elle n’y est d’abord qu’une réminiscence classique, comme chez les contemporains ; mais elle y a tout de suite un tour et des alentours qui manquent chez eux, et qui l’empêchent d’y rester, comme chez eux, à l’état de simple phrase littéraire. — Dès l’abord, il parle de Rome à la façon d’un Rienz (Proclamation du 20 mai 1796) : « Nous sommes amis de tous les peuples, et, particulièrement, des Brutus, des Scipion et des grands hommes que nous avons pris pour modèles. Rétablir le Capitole, y placer avec honneur les statues des héros qui le rendirent célèbre, réveiller le peuple romain engourdi par plusieurs siècles d’esclavage, tel sera le fruit de nos victoires. » — Quinze mois après, quand il est maître de l’Italie, sa préoccupation historique devient une ambition positive : désormais la possession de l’Italie et de la Méditerranée sera chez lui une idée centrale et prépondérante (Lettre au Directoire, 16 août 1797, et correspondance au sujet de la Corse, de la Sardaigne, de Naples et de Gênes ; lettres au pacha de Scutari, aux Maniotes, etc.) : « Les îles de Corfou, de Zante et de Céphalonie sont plus intéressantes pour nous que toute l’Italie ensemble… L’empire des