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LE RÉGIME MODERNE


est plus favorable à ses prises que le vieux champ du moyen âge ; et il y est seul, il n’y subit pas, comme ses ancêtres d’Italie, la concurrence de son espèce ; rien ne le réprime ; il peut accaparer tous les sucs de la terre, tout l’air et le soleil de l’espace, et devenir le colosse que les anciens plants, peut-être aussi vivaces et certainement aussi absorbants que lui-même, mais nés dans un terrain moins friable et resserrés les uns par les autres, n’ont pu fournir.

II

« La plante-homme, dit Alfieri, ne naît en aucun pays plus forte qu’en Italie » ; et jamais en Italie elle n’a été si forte que de 1300 à 1500, depuis les contemporains de Dante jusqu’à ceux de Michel-Ange, de César Borgia, de Jules II et de Machiavel[1]. — Ce qui distingue d’abord un homme de ce temps-là, c’est l’intégrité de son instrument mental. Aujourd’hui, après trois cents ans de service, le nôtre a perdu quelque chose de sa trempe, de son tranchant et de sa souplesse : ordinairement la spécialité obligatoire l’a déjeté tout d’un côté et le rend impropre aux autres usages ; d’ailleurs, la multiplication des idées toutes faites et des procédés appris l’encroûte et réduit son jeu à une sorte de routine ; enfin, il est fatigué par l’exagération de la vie cérébrale, amolli par la continuité de la vie sédentaire.

  1. Burckhardt, Die Renaissance in italien, passim. — Stendhal, Histoire de la peinture en Italie (introduction), et Rome, Naples et Florence, passim.