Page:Taine - Notes sur Paris, 1893.djvu/22

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bains, de poudre de riz, de veilles, de pâtés de foies gras. Ce qu’elle a appris, c’est à bien manger et finement, à boire fin et sec ; c’est une femme à soupers. Elle est déjà empâtée, elle tourne à l’oie grasse. Elle contait à son amie un dîner récent, un joli gueuleton, les vins, le café, le service, en tournant les yeux avec une béatitude gastronomique.

Dans la loge qui est derrière moi, le vieux prince de N… avec une danseuse de l’Opéra et une actrice des Variétés. Il les étale ainsi tous les samedis. La danseuse a la voix rauque des filles, et un ton de marchande de pommes ; cela fait contraste avec ses gants blancs à trois boutons. Elle parle haut, elle a des mots de titi. Quand Fleur-de-lys et Doralice éclatent en sanglots au départ de leurs fiancés, elle a dit à haute voix au milieu du silence : « Tout ça pour Carrau ! » Carrau est l’acteur qui fait le second amant, un pauvret sans voix et gentil. Cinq ou six hommes se sont retournés et ont ri ; elle était contente, elle avait du succès. Le reste de ses remarques est du même goût. « Alboni est si serrée que son jupon relève. Tiens, le noir la dégrossit. Mais qu’est-ce que c’est que ça, que cet opéra-là ? D’abord je n’y comprends rien, moi. Qu’est-ce qu’ils ont à faire des yeux en boule de loto ? J’aime mieux les Funambules ! »

Au-dessous de nous est une femme honnête. Cela se voit, parce qu’elle est moins décolletée ; la tenue, la mine sont autres. La grande lorette a toujours l’air de songer au plaisir. L’autre souhaite qu’on lui fasse la cour. Petite différence.