Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/172

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offense Dieu, et quand on offense Dieu, il faut, pour en obtenir le pardon, jeûner et donner l’aumône. C’est pourquoi je retiendrai cinq sous de votre dépense que je donnerai aux pauvres à votre intention, pour l’expiation de vos péchés. »

Tout son contentement étoit d’entretenir ses amis particuliers, comme Racan, Colomby, Yvrande et autres, du mépris qu’il faisoit de toutes les choses qu’on estimoit le plus dans le monde. Il disoit souvent à Racan, qui est de la maison de Bueil, que c’étoit une folie de se vanter d’être d’une ancienne noblesse ; que plus elle étoit ancienne, plus elle étoit douteuse ; et qu’il ne falloit qu’une femme lascive pour pervertir le sang de Charlemagne et de saint Louis[1].

Il ne s’épargnoit pas lui-même en l’art où il excelloit, et disoit souvent à Racan : « Voyez-vous, mon cher monsieur, si nos vers vivent après nous, toute la gloire que nous pouvons en espérer, c’est qu’on dira que nous avons été deux excellents arrangeurs de syllabes, et que nous avons été tous deux bien fous de passer toute notre vie à un exercice si peu utile et au public et à nous, au lieu de l’employer à nous donner du bon temps, et à penser à l’établissement de notre fortune. »

Il avoit un grand mépris pour tous les hommes en général, et il disoit, après avoir conté en trois mots la mort d’Abel : « Ne voilà-t-il pas un beau début ? Ils ne sont que trois ou quatre au monde, et ils s’entretuent déjà ; après cela, que pouvoit espérer Dieu

  1. Racan fait ajouter à Malherbe : « Tel qui pense être issu de ces grands héros est peut-être venu d’un valet-de-chambre ou d’un violon. »