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d’Angeli, s’arma d’armes si pesantes qu’on disoit qu’il lui avoit fallu donner des potences pour marcher.

Le connétable logeoit au Louvre, et sa femme aussi. Le Roi étoit fort familier avec elle, et ils badinoient assez ensemble ; mais il n’eut jamais l’esprit de faire le connétable cocu. Il eût pourtant fait grand plaisir à toute la cour, et elle en valoit bien la peine. Elle étoit jolie, friponne, éveillée, et qui ne demandoit pas mieux. Une fois elle fit une grande malice à la Reine. Ce fut durant les guerres de la religion, à un lieu nommé Moissac, où la Reine ni elle n’avoient pu loger, à cause de la petitesse du château. Madame la connétable, qui prenoit plaisir à mettre martel en tête à madame la Reine, un jour qu’elle y étoit allée avec elle, dit qu’elle vouloit y demeurer à coucher. « Mais il n’y a point de lits, dit la Reine. — Hé ! le Roi n’en a-t-il pas un, répondit-elle, et M. le connétable un autre ? » En effet, elle y demeura, et la Reine non. Et quand la Reine passa sous les fenêtres du château, en s’en allant, car on faisoit un grand tour autour de la montagne où ce château est situé, elle lui cria : « Adieu, madame, adieu, pour moi je me trouve fort bien ici[1]. »

Le connétable avoit fait venir de son pays un jeune homme, fils d’un je ne sais qui, nommé d’Esplan, qui

  1. Marie de Rohan, duchesse de Luynes, étoit surintendante de la maison de la Reine ; devenue veuve en 1621, elle se remaria avec le duc de Chevreuse, sous le nom duquel elle est célèbre par ses intrigues, et surtout par l’amitié dont Anne d’Autriche l’honora. Celle-ci pouvoit bien avoir ses motifs de ne concevoir aucune inquiétude des empressements du Roi pour la belle connétable. Nous lisons, t. 13, p. 633, du Recueil manuscrit de Conrart (Bibliothèque de l’Arsenal, 902, in-fol.), que Louis XIII disant à madame de Chevreuse qu’il aimoit ses maîtresses de la ceinture en haut, elle lui répondit : « Sire, elles se ceindront donc comme Gros Guillaume : au milieu des cuisses. »