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de cette madame de Beaumarchais, qu’elle ressembloit à un tabouret de point de Hongrie. En effet, elle avoit le visage carré, et tout plein de marques rouges. Cela n’empêchoit pas que, pour son argent, elle n’eût des galants et de bonne maison, car M. de Mayenne le dernier de ce nom en fut un. La vision qu’il eut pour la maréchale d’Estrées[1] est encore plus plaisante. C’étoit et c’est encore une petite femme sèche et qui a le nez fort grand, mais extrêmement propre. Elle étoit en sa jeunesse toute faite comme une poupée. « Ne croyez-vous pas, disoit-il sérieusement, car il ne rioit jamais, qu’on la pend tous les soirs, tout habillée, par le nez à un clou à crochet dans une armoire ? » Il disoit d’une dame qui avoit le teint fort luisant, qu’on lui avoit mis un vernis comme aux portraits.

Un jour qu’il étoit à l’hôtel de Rambouillet, madame de Bonneuil, dont nous parlerons ailleurs, y vint. Elle étoit grosse, et en entrant elle se laissa tomber et se fit grand mal à un genou, et pensa accoucher de sa chute. Le voilà qui se met à rêver : « Nous sommes bien mal bâtis, dit-il, nous avons des os en tous les endroits sur lesquels nous tombons d’ordinaire ; il vaudroit bien mieux que nous eussions des ballons de chair aux genoux, aux coudes, au haut des joues et aux quatre côtés de la tête. Quel plaisir ne seroit-ce point ? ajouta-t-il ; un homme sauteroit par une fenêtre sans se blesser, il passeroit par-dessus les murs d’une ville. » Et puis, s’engageant plus avant dans sa rêverie, il mena cet homme avec ces ballons de chair de ville en ville, jusqu’à La Haie en Hollande.

  1. Fille de Montmor, homme d’affaires. (T.)