Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/296

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connoissez donc pas vos voisins ? — Je ne connois point, répondit le savetier, les gens avec qui je n’ai point bu. » Cet homme conta cela au garde-des-sceaux, qui envoya convier le savetier à souper. Le galant dit qu’il ne manqueroit pas. En effet, il prend ses habits des dimanches, et avec une bouteille de vin et un chapon tout cuit, dont il avoit rompu un pied, il va chez le garde-des-sceaux, il met son vin à l’office et y laisse son chapon aussi entre deux plats. Comme on eut servi le second : « Oh hé ! dit-il, monsieur, je ne vois point mon chapon. » M. de Bellièvre demande ce qu’il vouloit dire ; il le lui conte et ajoute : « En voilà le pied que j’ai rompu de peur qu’on ne me le changeât. Il vaudra bien tout ce que vous avez là, et mon vin est bien aussi bon que le vôtre ; nous en usons ainsi entre nous. » On apporta la bouteille et le chapon. Le garde-des-sceaux ne but plus et ne mangea plus que de ce qu’avoit apporté le savetier, et ils firent la plus grande amitié du monde.

Un jour, étant chancelier, qu’il tenoit un enfant sur les fonts, le curé lui demanda le nom. Il répondit avec une gravité de chef de la justice : « Pomponne. » Le curé, qui n’avoit jamais été régalé de ce nom-là, le lui fit répéter. Il dit une seconde fois et aussi sérieusement : « Pomponne. — Ha ! monsieur, reprit le curé, ce n’est pas une cloche que nous baptisons ; c’est un enfant. »

C’étoit un homme d’une grande douceur. On dit qu’il ne s’est jamais mis en colère. Pour éprouver sa patience, ou plutôt son flegme, on alluma derrière lui un grand feu durant les grandes chaleurs pendant qu’il dînoit. Il ne dit autre chose sinon : « On est céans de l’avis de ceux qui disent que le feu est bon en tout temps. »