Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit : « Monsieur le grand-maître, si on vous disoit : Vous avez un maître-d’hôtel qui vous vole, mais vous êtes trop grand seigneur pour n’être volé que par un homme, prenez-en encore quatre ; le feriez-vous ? » Une autre fois il lui dit, du temps que Laffemas faisoit la charge de lieutenant civil par commission, qu’il connoissoit un homme qui donneroit huit cent mille livres de cette charge. « Ne me le nommez pas, dit le cardinal, il faut que ce soit un voleur. »

Hesdin se rendit huit jours plus tôt qu’il n’auroit fait, à cause d’une lettre en chiffres qu’on intercepta, par laquelle ceux de dedans demandoient secours. Rossignol la déchiffra et fit réponse en même chiffre, au nom du cardinal infant, qu’on ne les pouvoit secourir, et qu’ils traitassent.

Ce Rossignol étoit un pauvre garçon d’Alby, qui n’étoit pas mal habile à déchiffrer. Le cardinal le gardoit bien autant pour faire peur aux gens que pour autre chose. Il a fait fortune, et est aujourd’hui maître des comptes à Poitiers. Il étoit devenu dévot jusqu’à se donner la discipline. En 1653, il reçut quatorze mille écus pour trois ans de pension. Le cardinal Mazarin a cru qu’il lui étoit utile pour les chiffres mentaux. Ni lui ni tête d’homme ne les savoit déchiffrer que par hasard. On dit qu’il n’en a jamais déchiffré qu’un. Au reste, c’étoit une pauvre espèce d’homme. Il comptoit familièrement au cardinal de Richelieu les honneurs qu’on lui avoit faits à Alby : « Monseigneur, disoit-il, ils n’osoient m’approcher. Ils me regardoient comme un favori, moi je vivois avec eux comme auparavant. Ils étoient tout étonnés de ma civilité. » Le cardinal levoit les épaules, et dit à