Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/394

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de n’écrire jamais au lieu où seroit la cour des choses qui pussent s’appliquer à plusieurs personnes. Si mon père eût su cela, et qu’après il lui fût arrivé quelque désordre dans ses affaires, il m’eût voulu faire accroire que ma poésie en eût été cause.

En ce temps-là le cardinal dit en riant à Quillet, qui est de Chinon : « Voyez-vous ce petit homme-là ? il est parent de Rabelais, et médecin comme lui. — Je n’ai pas l’honneur, dit Quillet, d’être parent de Rabelais. — Mais, ajouta le cardinal, vous ne nierez pas que vous ne soyez du même pays que Rabelais. — J’avoue, monseigneur, que je suis du pays de Rabelais, reprit Quillet, mais le pays de Rabelais a l’honneur d’appartenir à Votre Éminence. » Cela étoit assez hardi ; mais un M. Mulot de Paris, qu’il avoit fait chanoine de la Sainte-Chapelle, lui parloit bien encore plus hardiment. Il est vrai que le cardinal avoit bien de l’obligation à cet homme ; car lorsqu’il fut relégué à Avignon, Mulot vendit tout ce qu’il avoit, et lui porta trois ou quatre mille écus, dont il avoit fort grand besoin. Ce M. Mulot n’avoit rien tant à contre-cœur que d’être appelé aumônier de Son Éminence. Une fois le cardinal, pour se divertir, car il se chatouilloit souvent pour se faire rire, fit semblant d’avoir reçu une lettre où il y avoit : À monsieur, monsieur Mulot, aumônier de Son Éminence, et la lui donna. Cela le mit en colère, et il dit tout haut que c’étoient des sots qui avoient fait cela : « Ouais ! dit le cardinal, et si c’étoit moi ? — Quand ce seroit vous, répondit Mulot, ce ne seroit pas la première sottise que vous auriez faite. » Une autre fois il lui reprocha qu’il ne croyoit point en Dieu, et qu’il s’en étoit confessé à lui.