Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/414

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dire tout ce qu’elle m’a dit. » Alors le Roi s’emporta tout-à-fait. M. le Grand sort, et en s’en allant il dit tout bas à Fabert : « Je vous remercie, monsieur Fabert, » comme l’accusant de tout cela. Le Roi vouloit savoir ce que c’étoit ; Fabert ne le lui voulut jamais dire. « Il vous menace peut-être ? dit le Roi. — Sire ? on ne fait point de menaces en votre présence, et ailleurs on ne le souffriroit pas. — Il faut vous dire tout, monsieur Fabert, il y a six mois que je le vomis (se sont les propres termes du Roi). Mais pour faire accroire le contraire, et qu’on pensât qu’il m’entretenoit encore après que tout le monde étoit retiré, continua le Roi, il demeuroit une heure et demie dans la garde-robe à lire l’Arioste. Les deux premiers valets de garde-robe étoient à sa dévotion. Il n’y a point d’homme plus perdu de vices, ni si peu complaisant. C’est le plus grand ingrat du monde. Il m’a fait attendre quelquefois des heures entières dans mon carrosse, tandis qu’il crapuloit. Un royaume ne suffiroit pas à ses dépenses. Il a, à l’heure que je vous parle, jusqu’à trois cents paires de bottes. » La vérité est que M. le Grand étoit las de la ridicule vie que le Roi menoit, et peut-être encore plus de ses caresses[1]. Fabert donna avis de tout cela au cardinal. M. de Cha-

  1. Quoi que Rumigny pût dire à M. le Grand, il négligea de se remettre bien avec le Roi ; il se fioit sur son Traité avec l’Espagne. Il avoit envoyé Montmort, parent de Fontrailles, au comte de Brion, car on n’osoit, à cause de La Rivière, s’adresser à Monsieur directement. Par malheur pour lui, M. de Brion étoit à Paris aux noces de mademoiselle de Bourbon et de M. de Longueville. Cela empêcha qu’il n’eût réponse, et donna le temps d’avoir le Traité d’Espagne. La princesse Marie avoit promis à Cinq-Mars de l’épouser quand il se seroit plus élevé : cela avoit contribué à lui faire tourner la tête. (T.)