Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/59

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place qu’auprès de M. de Joyeuse. Depuis pourtant l’amiral et lui se brouillèrent ; en voici l’occasion :

La Reine, Catherine de Médicis, avoit une fille d’honneur nommée mademoiselle de Vitry, qui étoit galante, agréable et spirituelle. Desportes lui fit une fille. Comme elle étoit chez la Reine, on dit qu’elle alla accoucher un matin au faubourg Saint-Victor, et que le soir elle se trouva au bal du Louvre, où même elle dansa, et on ne s’en aperçut que par une perte de sang qui lui prit. Elle disoit plaisamment que les femmes se moquoient de prendre la ceinture de sainte Marguerite, elles qui pouvoient crier tout leur soûl ; mais que c’étoit aux filles à la mettre, puisqu’elles n’osoient faire un pauvre hélas ! Depuis, comme il arrive entre amants, elle n’aima plus M. Desportes et le mit mal avec l’amiral de Villars, qui, quoiqu’elle fût déjà sur le retour, étoit devenu amoureux d’elle à toute outrance. Malicieusement elle dit à l’amiral que s’il avoit toujours Desportes avec lui, on croiroit qu’il ne faisoit rien que par son conseil, et que cet homme le régentoit toujours ; car c’étoit par le crédit de Desportes que l’amiral avoit été fait ce qu’il étoit. L’amiral en étoit si fou, qu’en Picardie, allant au combat où il fut tué, après avoir fait sa paix avec Henri IV, il se mit à baiser un bracelet de cheveux de madame de Simier (c’est ainsi qu’elle s’appela après), et dit à M. de Bouillon qui lui en faisoit honte : « En bonne foi, j’y crois comme en Dieu. » Il ne laissa pas d’y être tué.

M. Desportes eut la fantaisie d’avoir tout le patrimoine de sa famille : c’étoit une fantaisie un peu poétique. Il avoit un frère et six sœurs, dont trois ne lui