Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/207

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mille écus en deux mois. Les Anglois comprirent bien son dessein et n’attaquèrent jamais. Le Roi voulut aller sur son vaisseau ; on l’en avertit, et que Sa Majesté y vouloit faire collation ; le bailli, qui n’étoit pas sot, dit : « Si je fais une belle collation, on se moquera de moi de dépenser ainsi mon argent ; si vilaine, ce sera encore pis. » Le Roi y va, et puis demande la collation. « Apportez, » dit le bailli. On apporte un bassin de biscuits moisis, et un de merluches, avec un méchant potage aux pois. Le Roi se mit à rire : « Sire, lui dit-il, quand on nous paiera mieux, nous vous ferons meilleure chère. »

La ville prise, on le fit maréchal-de-camp ; en ce temps-là, c’étoit quasi autant que maréchal de France à cette heure. On lui dit qu’il pouvoit présenter au Roi cinquante chevaliers de Malte qui avoient servi en cette rencontre, et qu’il portât la parole pour eux. Or, il faut savoir que le Roi, qui étoit médisant lui-même, avoit baptisé le bailli, le médisant éternel. Il s’avance et dit : « Sire, Votre Majesté m’ayant donné le titre de médisant éternel, je n’ai garde de rien faire qui me le fasse perdre. Si je parlois de ces messieurs, il faudroit que j’en dise du bien, c’est pourquoi Votre Majesté me permettra de n’en rien dire. » Le Roi sourit et dit : « Nous croyions l’embarrasser, mais il s’en est bien tiré. »

Le voilà en état de faire quelque grande fortune. Mais outre qu’à Lyon, durant la maladie du Roi, il donna les plus violents conseils contre le cardinal de Richelieu, il le piqua encore vilainement.

Un jour que l’Éminence le railloit en présence du Roi sur sa nièce, la comtesse d’Alais, fille de la maré-