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louage avec sa suivante. Cela ne la rebuta point ; elle fut jusqu’à Péronne, et elle n’alla pas plus loin, parce que Voiture ne passa pas outre. Dans tout ce voyage elle ne put obtenir de ce cruel un quart-d’heure d’audience. Une de ses amies, qui tâchoit de la guérir, la fut voir une fois dans une chambre au troisième étage, en un fort sale lit, elle qui avoit été la plus propre femme de Paris. Cette pauvre folle lui dit : « Je vis hier une femme qui est presque aussi malheureuse que moi ; c’est une femme de quelque âge qui s’est remariée à un jeune homme qui la maltraite. — Voilà une chose bien étrange ! lui dit cette amie ; cette femme est punie de la folie qu’elle a faite. — C’est pour cela, reprit l’amante éplorée, que son mari l’en devroit mieux aimer, car ceux pour qui nous faisons des folies ne nous en sauroient avoir trop d’obligation. » Et elle se mit à soutenir cette extravagante opinion, tout le temps de la visite.

Nous dirons le reste à la fin de cette historiette, car nous avons dit la suite de cette amourette par avance.

Voiture en conta aussi à madame Des Loges, à la marquise de Sablé et à d’autres. Madame Des Loges l’aimoit : ce fut elle qui commença ces rimes en ture qu’on a depuis appelées le portrait du pitoyable Voiture, car il étoit toujours enrhumé ; il se plaignoit sans cesse, et il plaignoit tout le monde. M. de Rambouillet y ajouta quelque chose, et en 1633 ou 1634, quelqu’un y joignit des rimes offensantes[1], dont Voiture

  1. Voiture rioit en contant que son père lui avoit dit : « Vous disiez qu’on vous aimoit tant à l’hôtel de Rambouillet, voyez ce qu’on y a fait contre vous. » Mais c’étoit avant qu’on eût rien ajouté de fâcheux. (T.)