Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/438

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trer personne ; point de valets (c’étoit à table), j’ai assez de peine à réciter pour les maîtres. » Une fois il dînoit chez Chapelain. Je suis tout édifié d’avoir trouvé que Chapelain ait au moins une fois en sa vie donné à manger à quelqu’un. Esprit, de l’Académie, y étoit, qui dit : « Que voilà qui est joli ! — Nargue de votre joli ! » reprit Saint-Amant. Il pensa s’en aller, tant il étoit en colère.

Il dit insolemment un jour qu’il avoit cinquante ans de liberté sur la tête, et cela à table du coadjuteur, qui l’a vu je ne sais combien d’années domestique du duc de Retz le bonhomme. Depuis, il s’attacha à M. de Metz, et enfin, ne sachant plus que faire, il s’en alla en Pologne. Il en est revenu depuis quatre ans ou environ ; il avoit prétendu pour son Moïse une abbaye et même un évêché, lui qui n’entendroit pas son bréviaire ; et ce fut pour punir l’ingratitude du siècle qu’il ne le fit point imprimer[1]. Depuis, il l’a donné, mais rien au monde n’a si mal réussi. Au lieu de Moïse sauvé, Furetière l’appeloit Moïse noyé. En une épître à M. d’Orléans, sur la prise de Gravelines, il s’appelle le gros Virgile ; il eût mieux fait de dire le gros ivrogne. En sa jeunesse il faisoit beaucoup mieux ; mais il n’a jamais eu un grain de cervelle, et n’a jamais rien fait d’achevé. Il travaille toujours pour la reine de Pologne, et elle a soin de lui.

La Reine se portoit si bien dans sa grossesse et se trouvoit si heureuse en toute chose, qu’elle pria ma-

  1. On remarque en effet que le privilége accordé pour ce mauvais poème est du 20 octobre 1653, et que l’ouvrage n’a été imprimé qu’en 1660.