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LA DUCHESSE DE CROŸ.


Mademoiselle d’Urfé, fille du frère aîné de M. d’Urfé, qui a fait l’Astrée, n’ayant guère de bien, fut donnée à la Reine-mère : elle étoit fort jolie et fort spirituelle. À cette comédie où jouèrent les fils naturels de Henri IV, elle fit merveille ; c’étoit alors toute la fleur de chez la Reine-mère : aussi fut-elle fort galantisée ; on en médisoit même un peu.

Le duc de Croy, grand seigneur de Flandres, riche, mais un riche mal aisé, et qui étoit grand d’Espagne, vint à la cour. Il n’avoit pu trouver à se marier, à cause qu’outre l’embarras de ses affaires, il étoit vérolé et puant à un point étrange : avec cela une vraie ballourde. M. de Bassompierre, qui l’avoit connu en Lorraine, lui proposa d’épouser mademoiselle d’Urfé : il l’épouse, et l’emmène à Bruxelles. Balzac a pris cette histoire de travers, et a dit dans ses Entretiens, « qu’un prince étranger avoit demandé en mariage une fille de la Reine, et que cela avoit fort nui aux autres, qui, en se flattant, attendoient une même fortune. »

À Bruxelles, ils furent ensemble environ six ans ; elle en avoit vingt quand elle fut mariée. Au bout de ce temps-là, le duc fut tué d’un coup d’arquebuse, à travers les fenêtres d’une salle basse où il se promenoit. On accusa le marquis Spinola de cet assassinat, parce qu’il étoit amoureux de la duchesse, et qu’après cela il la vit fort familièrement. Elle croyoit l’épouser, quand