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désagréable. Pour le moins il ne vous doit pas estre suspect, puis que Madame vostre sœur[1] en a fait l’essay et qu’en matière de viandes spirituelles il se peut dire qu’elle a acquis la perfection du goust. C’est donc sur sa parolle que je vous envoie mon Socrate[2], et sur l’assurance qu’elle me donne que le service du roy ne vous occupe pas de telle façon (quoyque vous le faciés d’une admirable manière) qu’après les heures des affaires, vous n’en aiés quelques-unes de divertissement. De l’autre costé, Monseigneur, on m’a dit une nouvelle dont j’ay esté un peu surpris et qui me fait appréhender pour celuy que je vous envoie. Aiant sceu d’un Père Jésuite, nouvellement arrivé de Pau, que vous avés fait de grands progrès dans la piété, et particulièrement que vous vous adonnés à l’oraison mentale[3], je crains que cette estroite familiarité que vous avés contractée avecque Dieu ne vous desgoutte de toute autre sorte d’entretien. Vous estant eslevé si haut, vous ne pouvés venir jusqu’à moy, sans descendre de plusieurs degrés. Et ce n’est pas assés que mon Socrate soit chrestien et catholique ; je voy bien que pour estre à vostre usage, il faudroit qu’il fust dévot et contemplatif. Si un jour je l’augmente de quelques chapitres, je tascheray par une plus sainte estude de le rendre plus digne de vous ; et si je sçavois le stile de vos méditations, je m’esforcerois d’y accomoder le mien. De tout temps j’ay tiré de la gloire de vous avoir plu. Et, en effet, ce n’est pas peu, Monseigneur, de plaire à un homme qui, n’aiant que de saines passions, ne peut avoir que de légitimes plaisirs. Je ne veux pas pourtant rien entreprendre sur les bons Pères, et comme je leur laisse la direction de vostre conscience, je ne leur dispute pour la préférence de vostre esprit. Leurs livres vous peuvent fournir d’utiles instructions ; il me suffit que vous trouviés dans les miens d’honnestes amusemens et que je vous deslasse, après que les docteurs

    Dans ce même recueil on trouve (p. 616) une lettre où Balzac remercie le maréchal de Gramont (14 janvier 1645) d’avoir protégé M. de Forgues « Les bontés que vous avez pour mon neveu, sont des bontés que je vous ay. Aussi je les reçois avec tous les sentiments de reconnaissance, qui, peuvent naistre dans l’âme d’un homme de bien, etc.).

  1. Charlotte-Catherine de Gramont, abbesse de Notre-Dame de Ronceray.
  2. Socrate Chrestien, par le sieur de Balzac et autres œuvres du même Paris, Aug. Courbé. 1652, in-8o.
  3. On ne se figure guères le maréchal de Gramont si avancé dans la piété, si adonné à l’oraison mentale. Évidemment le bon père de qui Balzac tenait, ces beaux renseignements, avait surfait la dévotion du gouverneur du Béarn et de la Navarre.