Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/107

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dès cette époque, la nécessité mathématique de qualifier l’espace d’illimité, autrement que par une vague métaphore poétique, eût été reconnue à la suite d’une discussion des principes de la géométrie.

On ne peut, il est vrai, refuser à un contemporain d’Anaximandre la possibilité de s’imaginer a priori l’espace comme réellement illimité, et, par conséquent, la matière comme illimitée elle-même. Comme on le verra au chapitre suivant, c’est là le dogme pythagorien qui oppose le monde fini à la substance infinie qui l’entoure et qu’il respire ; c’est la croyance de Xénophane, qui étend à l’infini les racines de la terre et les espaces éthérés.

Si Anaximandre fut le premier à publier ses opinions physiques, il devait, bien moins que ses successeurs, éprouver la nécessité d’élaborer ses conceptions au point de vue logique ; mais, nous l’avons remarqué, son imagination est très précise ; or, il y a une chose qui a toujours été inimaginable, c’est un mouvement rotatoire s’étendant à l’infini ; donc, puisque la croyance à ce mouvement rotatoire pour la totalité de la matière est le fond du système d’Anaximandre, il est certain qu’il ne pouvait imaginer la matière comme infinie, dans le sens que nous donnons à ce mot.

Ceci trouve une confirmation dans l’histoire des doctrines immédiatement postérieures ; lorsque Xénophane chante, contre les pythagoriens, l’unité absolue de l’univers, il se rapproche en fait d’Anaximandre ; mais comme, avec ceux même qu’il combat, il se représente l’univers comme infini, il lui faut rejeter le dogme de la révolution, et il proclame l’immobilité.

Peut-être le Milésien ne limitait pas la matière à son anneau solaire, car il lui fallait assurer le renouvellement incessant de la substance de cet anneau ; ce serait alors qu’il n’aurait point senti la nécessité de préciser des limites. Cependant il est clair que la genèse qu’il suppose pour le monde ne se comprend bien que dans un espace limité, si les parties les plus légères rejetées loin du centre du tourbillon doivent s’arrêter quelque part et ne pas se dissiper dans l’immensité.

Quand, d’un autre côté, Anaximandre explique l’immobilité de la terre au centre du monde par son égale distance aux extrémités dans toutes les directions, c’est une négation aussi formelle que possible de l’infinitude de la matière, et quand on verra ses successeurs chercher d’autres explications, on aura à se demander