Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En tout cas, aux négations de Zeller devrait être jointe une explication du mythe obscène, ainsi que la preuve qu’Héraclite ne pouvait s’élever à cette explication. Mais, tout au contraire, le mythe en question se prête au mieux à une interprétation vraiment conforme aux opinions de l’Éphésien.

Le feu solaire (Dionysos) est descendu dans les régions souterraines ; alourdi par l’eau de la mer qu’il a traversée, il a perdu la mémoire et ne pourrait aller se rallumer pour briller de nouveau sur la voûte céleste, s’il ne rencontrait le feu qui subsiste dans le séjour de l’Hadès-Prosymnos ; ce feu, qui représente le résidu des soleils précédents, ainsi que l’indique la mort du dieu symbolique, s’unit à lui et permet ainsi au nouveau soleil de reparaître à l’horizon du levant.

Mais, avant tout, la formule d’Héraclite : « Hadès est le même que Dionysos », frappe par son caractère égyptien. « Osiris est le même que Hor » en serait la traduction littérale et donnerait en même temps la même clef du symbole de la marche du soleil.

Que le mythe, si obscène qu’il soit, n’ait pas un autre sens au fond, on ne peut guère en douter. Quant à la cérémonie elle-même, Hérodote a sans doute raison de lui attribuer une origine égyptienne ; elle a d’ailleurs très bien pu avoir, dans le principe, une tout autre signification, le mythe ayant été, après coup, forgé sur elle. En tout cas, transparente chez les Égyptiens, pour qui le caractère solaire des divinités est bien accusé, la légende était devenue absolument obscure chez les Grecs.

La question qui se pose est donc celle-ci : s’il n’est guère supposable qu’Héraclite ait deviné de lui-même le sens mystérieux caché sous le symbolisme obscène, a-t-il révélé un point d’une doctrine secrète qui se serait transmise en Grèce par les seuls initiés et qui aurait donné l’explication des rites orgiaques, ou bien a-t-il reconnu la vérité grâce au rapprochement de la religion égyptienne et de la religion hellène ?

Qu’il y ait eu en Grèce, au fond des mystères, une doctrine secrète sérieuse, je considère, pour ma part, le fait comme absolument invraisemblable, et ma grande raison, c’est qu’en tout cas cette doctrine est restée inconnue ; les mystères ne se gardent que quand ils ne valent pas la peine d’être révélés ; ceux de la franc-maçonnerie en donnent une preuve suffisante.

Peut-on, en revanche, admettre qu’Héraclite ait eu de la religion égyptienne une connaissance plus ou moins approfondie ? Évidem-