Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/143

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les limites de l’individu, jusqu’au point où, ne pouvant plus la contenir mais ne voulant pas cesser de produire, il émet le suprême élément qui sera le promoteur, l’éditeur d’un nouvel être. Ainsi la vie ne sort de soi que par force, et, de même qu’une cité hellénique, faute de pouvoir s’annexer un territoire éloigné, y envoie une petite colonie qui s’agrandira à son image, pareillement la génération n’est qu’une croissance à distance, un dédommagement de la nutrition arrêtée et sacrifiée. Dédommagement fécond d’ailleurs, sacrifice transfigurant comme tous les sacrifices. Il n’est pas malaisé de reconnaître dans cette propagation hors frontières qu’opère la génération des marques manifestes de sa parenté avec la propagation intramuros qui est l’effet de la nutrition. De même que la propagation interne produit des organes qui se font pendant les uns aux autres, la propagation externe produit des variétés en sens inverse qui se balancent et se correspondent, comme le remarque Darwin dans son ouvrage sur les Variations, bien que cette sorte de symétrie vague ne paraisse leur être d’aucune utilité réciproque. Les tableaux de Quételet, par exemple, qui représentent la série pyramidale des tailles humaines, depuis les plus élevées jusqu’aux plus basses, avec le nombre d’individus propre à chacune d’elles, sont un échantillon frappant de véritable symétrie vivante, réalisée non par l’individu mais par l’espèce. Les oscillations de la force spécifique d’un extrême à un autre y sont visibles, ainsi que la stabilité de l’équilibre inhérent à la forme typique, traversée (comme une sorte d’état zéro) par les variations individuelles qui se succèdent dans deux sens précisément opposés[1]. Voilà un sens de l’idée

  1. Ne pourrait on pas rattacher au même principe la symétrie des formes