Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/149

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et avant tout, le déploiement d’une nature d’esprit très personnelle. On voit habituellement chez les poètes l’étroite ceinture d’un rythme d’airain aider les élans de l’âme, et l’inspiration la plus haute, la plus effrénée, se donner carrière par le battement régulier des strophes ailées et des rimes sonores. Aussi le vers amorphe et, pour ainsi dire, désossé des poètes d’à présent est-il impropre au lyrisme et ne se prête-t-il qu’à exprimer une rêveuse mollesse, une mystique sensualité.

Presque aussi avide de conception vaste, presque aussi antithétique était Bichat, dont je parlais tout à l’heure. Après avoir opposé, contradictoirement en quelque sorte, les lois vitales aux lois physiques, dans la vie elle-même il distingue deux vies opposées : la vie organique et la vie animale ; et cela ne lui suffit pas, il lui faut encore une sensibilité organique en opposition avec la sensibilité animale, sans compter tant d’autres contrastes forces. — Quoi de plus géométriquement trace, de plus méthodiquement déduit et de plus titanesquement ambitieux que l’Éthique de Spinoza ; si ce n’est le système d’Hegel, qui excelle à fabriquer de fausses notions, comme on fait en architecture de fausses fenêtres, pour remplir les cadres de ces triades ? C’est le cas, d’ailleurs, de tous les penseurs allemands[1] car, plus un métaphysicien est

  1. Il est ainsi même dans l’école de Schopenhauer. Pour M. de Hartmann, « révolution de l’Univers n’est qu’un combat incessant du principe logique (l’idée) contre le principe illogique (la Volonté) et ce combat doit aboutir à la victoire du second ». Citons encore : « La volonté n’est essentiellement, et avant la créaUon, qu’un principe étranger à la raison ; mais, aussitôt qu’il entre en action, les conséquences de son vouloir en font un principe contraire à la raison (autilogique) parce qu’il poursuit le contraire de ce qu’il veut réellement, la souffrance, » (Physiologie de l’inconscient, t. II.)