Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/151

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n’est pas le lieu de la discuter, comme elle le mériterait.

Cet exemple est particulièrement instructif ; à voir un si fin critique tomber lui-même au piège de la symétrie où il reproche à tant d’autres, à Kant, à Pascal - à l’occasion de l’opposition artificielle établie par ce dernier entre l’infiniment grand et l’infiniment petit - de s’être laissé glisser le pied, on est amené à se demander pourquoi ce piège est presque inévitable, pourquoi le besoin métaphysique de l’esprit ne saurait se satisfaire sans une certaine symétrie apparente ou dissimulée de la pensée. Que veut la métaphysique ? Posséder la science. L’érudit a besoin de savoir, mais non de posséder son savoir, de le ramasser en une formule, susceptible de faire contenir dans un cerveau étroit un univers succinct. On voit que posséder ou totaliser, cela revient au même. Dire que la vie, donc, rêve la possession, c’est dire qu’elle rêve une totalité. Mais saisir ainsi, étreindre un tout, cela ne suppose-t-il pas nécessairement quelque chose qui se replie sur soi ? S’il n’y avait rien de symétrique, d’opposé, d’inverse, dans l’univers, il n’y aurait rien d’intellectuellement saisissable, totalisable. Si donc l’on veut à tout prix le rendre de la sorte maniable et pour ainsi dire portatif, il faut l’imaginer symétrique, réfléchi et replié sur soi.

C’est, je le répète, à la manière des grands conquérants, des grands poètes, des grands penseurs, que la vie aime l’ordre et même la symétrie dans ses créations. Que veulent-ils tous ? Posséder le monde chacun à sa façon ; le conquérant, par la volonté ; le penseur, par l’intelligence ; le poète, par l’imagination qui pille et bouleverse la réalité, se joue des choses et affirme ainsi leur subordination à son arbitraire idéal. La vie