Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/160

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la vie soit une lutte contre la mort ; elle en est la poursuite. — Remarquons, en passant, à quel point ce résultat, signalé par Spencer (en d’autres termes et dans un tout autre esprit, il est vrai) est contraire à sa thèse favorite, d’après laquelle l’essence de la vie serait une adaptation croissante au milieu extérieur. La preuve que cette adaptation n’augmente pas sans cesse, et doit être considérée comme un moyen momentané, non comme le point de mire de la vie, c’est que le terme définitif et nécessaire de l’évolution vitale, d’après Spencer lui-même, est un état, graduellement amené, où l’être vivant devient impropre à s’adapter, je ne dis pas seulement à de nouvelles circonstances, mais à son milieu habituel. « Qu’appelle-t-on parfait ? Un être à qui rien ne manque », dit Bossuet. On n’imagine pas une meilleure définition du cadavre que cette définition de Dieu, et il y aurait là, si l’on y réfléchit, de quoi justifier l’adoration instinctive et superstitieuse de tous les peuples primitifs pour les corps morts. Vivre, c’est avoir besoin, c’est manquer de tout ce dont on a besoin ; c’est poursuivre vainement, comme une proie toujours dévorée et toujours renaissante, la satisfaction de désirs qui se multiplient à mesure qu’ils se détruisent. Mais la mort met fin à ce cauchemar, elle nous apaise et nous achève, et, au sortir de cet étroit défilé d’étouffements et d’avortements, nous rend à la pleine totalité de notre nature pré-vitale, à l’Être Éternel auquel je ne donne point de nom propre, parce que l’idée de propriété, qui suppose celles de privation, de besoin et de manque, est indigne de lui, et qu’il ne peut rien avoir dès lors qu’il est tout.

Ces considérations trouvent leur application dans d’autres